HISTOIRE DES ARTS 2015
XIXème siècle
Le Radeau de la Méduse
Le Radeau de la Méduse
Théodore Géricault, 1819
huile sur toile, 491x716cm
Musée du Louvre, Paris
L'artiste :
Théodore Géricault, né en 1791 à Rouen, mort en 1824 à Paris (33 ans). Sculpteur, peintre, il est considéré comme le précurseur du romantisme, dont Delacroix en sera le représentant. Issu de la haute bourgeoisie, il laissera vite de côté les études pour se consacrer à ses deux passions : l’art et l’équitation. Deux activités qui se rejoindront puisque l’artiste produira de nombreuses œuvres et études de chevaux.
Sa vie après Le Radeau sera quelque peu tourmentée, et c’est d’ailleurs une chute de cheval qui accélèrera sa descente aux enfers, faisant de lui l’incarnation mythique de l’artiste romantique.
Le Romantisme :
Avant : Néoclassicisme (Jacques-Louis David, Jean-Auguste D. Ingres, etc)
Après : Réalisme (Gustave Courbet, Jean-Baptiste Corot, Jean-François Millet, etc)
Courant tout d’abord littéraire au XVIIIème siècle, le romantisme va se développer fortement en Allemagne et en Angleterre puis « contaminer » d’autres domaines de création jusqu’à la moitié du XIXème, tels que la musique ou la peinture, jusqu’à ce que la France devienne le pays le plus prolifique en productions artistiques. Le romantisme veut s’opposer à la rationalité académique du néoclassicisme en prônant une puissance et une vérité de sentiments et de passions. La mythologie, l’exotisme, la fable, le rêve, la guerre, la mort, l’amour sont d’autant de thèmes inspirant les artistes.
« Le romantisme n’est précisément ni dans le choix des sujets ni dans la vérité exacte, mais dans la manière de sentir. » Charles Baudelaire
Un fait divers dramatique :
Géricault lit l’ouvrage de Savigny et Corréard, deux des survivants du naufrage qui ont voulu rendre public le drame qu’ils ont vécu. L’artiste décide de les rencontrer et se passionne pour l’histoire; il la dénoncera par la peinture.
Le 17 juin 1816, la frégate « La Méduse » appareille pour atteindre le Sénégal, colonie restituée à la France, avec à son bord son nouveau gouverneur, sa famille, un batail- lon d’infanterie, une équipe de chercheurs, et l’incompétent capitaine De Chaumareys, soit près de 400 personnes. Celui-ci négligeant les conseils des officiers, le 2 juillet, jour de calme plat et de bonne visibilité, le navire s’échoue sur le banc d’Arguin, au large des côtes africaines. L’ordre est donné d’évacuer, les six canots de sauvetage sont réservés aux plus gradés, riches ou chanceux. Restent 149 personnes que l’on refoule sur un radeau sommaire (15x8m !), remorqué par un canot. Quelques heures après, stupeur: les cordages sont coupés, le radeau ralentissant et gênant l’avancée des chaloupes.
La seule caisse de biscuits, les réserves d’eau et les meilleures places se disputent. Pendant leur dérive de 13 jours, faim, soif, folie, suicides, meurtres, cannibalisme font de ce calvaire un véritable cauchemar: lorsque le navire « Argus » secourt les naufragés: 15 rescapés montent à bord. Reste à faire la soustraction...
ANALYSE FORMELLE
Description :
- Au 1er plan, un radeau monumental occupe quasiment tout l’espace. Délabré, un mât, une voile fortement gonflée par le vent, de nombreux hommes à son bord. Au 2ème plan, un paysage: une mer très agitée (vagues à gauche et à droite) sous un ciel très nuageux. Au fond: une tache minuscule (un ba- teau? Une vraie « tache » dans l’œuvre? Un phare?)
- Les personnages sur le radeau:
. une bande horizontale au 1er plan de corps couchés sur le dos, ou sur le ventre, tous en partie dénudés, un tissu couvrant le visage, ou les pieds (celui de droite « à cheval » sur le radeau et dans l’eau).
. une bande au 2ème plan composée de deux hommes assis : l’un barbu, cheveux gris, recouverts par un tissu rouge, tête reposée sur sa main, et rete- nant de l’autre un corps du 1er plan, est tourné vers le spectateur. L’autre à sa gauche, tête de profil regarde vers l’arrière.
. un groupe au 3ème plan formé de : 3 hommes en hauteur sur ou autour de barriques (1 homme noir torse nu agitant un tissu rouge et blanc tout en haut / 1 autre le soutenant par la cuisse, un autre devant l’homme noir agitant un tissu blanc), tous trois tournés vers le fond du tableau, donc de dos au spectateur.
. La base de ce trio est soutenu par 4 hommes, bras et regards tournés ou en contact avec le trio.
. Derrière le mât : 3 hommes tournés vers le fond, dont un qui joint les mains / un autre tourné vers ces personnages désignant de la main ce même point
Au pied du mât, on devine un homme assis, se tenant la tête entre les mains.
Les couleurs :
Une palette de tons assez homogène: nombreuses nuances de beiges, bruns (du jaune au marron foncé), noirs pour un ensemble assez chaud. Une touche de rouge sur l’homme barbu, reprise par le « fichu » de l’homme soutenant l’homme noir, et le « bermudas » du voisin.
La lumière :
Une forte lueur perce les nuages, pour un fond du tableau très clair (derrière le mât), contrastant avec le reste du tableau très sombre. Les corps allongés du 1er plan sont plus éclairés que les autres.
La composition du tableau :
La scène :
- le tableau montre le radeau construit à la suite du naufrage de la Méduse, mais au vu du nombre de resca- pés, le temps a passé depuis ce naufrage.
- la tâche à l’horizon doit être l’Argus, le navire qui a secouru les naufragés.
L’artiste a donc représenté l’instant où les rescapés aperçoivent le bateau. C’est par conséquent l’instant de la délivrance, du soulagement, de la vie sauve.
- Les personnages du 1er plan sont morts, ce qui construit un plan macabre, immédiatement lisible par le spectateur, pour une ambiance dramatique imposée.
- Cette ambiance est renforcée par la mer qui paraît très menaçante, de même que le ciel noir au-dessus des naufragés.
- A noter que le personnage porté pour alerter l’Argus est noir (il s’appelait Jean-Charles), choix humaniste et politique de l’artiste qui ajouta au scandale lors de la réception de l’œuvre.
La lumière :
La lumière semble crépusculaire, accentuant encore l’aspect dramatique des hommes sur le radeau. Idem avec l’éclairage morbide des cadavres du 1er plan, dont la blancheur de la peau frappe le spectateur.
Les couleurs :
La dominante chaude ne rassure pas pour autant, de même que le jaune pâle de ce coucher de soleil, déclinant presque dans les verts une atmosphère où la mort est prégnante. A noter en plus que le noir spécialement fabriqué par Géricault est en train de détériorer progressivement la toile à cause de la forte te- neur en plomb du pigment. Un œuvre qui elle-même paraît condamnée...
La composition :
- La diagonale [coin en bas à gauche / coin en haut à droite] invite le spectateur à regarder d’abord les morts (pour une découverte repoussante) et monter vers le coin opposé pour la découverte de la lueur d’espoir presque simultanée à celle des naufragés. Plus on monte vers le coin droit, jusqu’à l’Argus, plus la vie est présente. On peut aussi y associer une temporalité: en bas à gauche, les terribles jours qui viennent de passer, en haut à droite le salut proche pour un avenir plus heureux.
La diagonale opposée vient pourtant nuancer ce dénouement heureux. En effet, ce corps décharné et semi dénudé en bas à droite amène un sentiment de tra- gédie appuyé un peu plus loin dans l’oblique par cette voile gonflée par un vent puissant, et encore après par une vague énorme et menaçante. D’où un « déplacement » probable inquiétant du radeau vers la gauche; un déplacement qui éloignerait les naufragés de l’Argus, donc du salut, vers un danger immé- diat. Géricault pose un suspense et une issue pas si certaine que ça.
- A noter que le point de fuite n’est pas identifiable à cause des corps morts ou enchevêtrés qui nous empêche de dégager notre regard. Géricault joue avec la construction « géométrique » de son tableau pour accentuer la tension de la scène représentée.
- Les pyramides ajoutent encore à l’atmosphère dramatique : l’homme barbu et accoudé est complètement tourné vers le spectateur, autrement dit de dos à l’Argus. Il est complètement résigné et préside cette pyramide assemblée de morts, une pyramide du désespoir, du passé, de la tragédie... À ses côtés, l’homme de profil propose une transition vers une pyramide plus positive, celle de l’espoir, de la vie, de l’avenir, composée par tout un groupe s’associant dans la solidarité pour porter littéralement l’homme agitant le drapeau, telle une figure de proue du radeau décharné. Une association ultime pour un salut proche.
CONCLUSION
Géricault nous offre une œuvre dramatique, tragique, horrible, provocant dégoût et stupeur chez le spectateur. Pourtant, celui-là même y trouvera une beauté dérangeante, sublimée par la composition, l’humanité, la lumière et la monumentalité du format. C’est un fait-divers pour lequel Géricault s’est battu corps et âme jusqu’à trouver l’instant, la puissance et la tension parfaits.
Le réalisme de son œuvre est pourtant largement empreint de romanesque, de beauté, de souffrance presqu’allégorique.
Ce jeune et génial artiste nous livre un monument de notre patrimoine, un chef-d’œuvre d’une nouvelle façon de voir et de peindre: le romantisme.
Documentaire sur l'oeuvre :
Citations de l'oeuvre par d'autres artistes :
Delacroix admirait l'oeuvre de Géricault et s'est inspirée de la composition du Radeau de la Méduse pour réaliser son oeuvre : La liberté guidant le peuple en 1830.
Dans l'album : Astérix le légionnaire, Albert Uderzo cite le Radeau de la Méduse pour illustrer le naufrage des pirates.
Photographie d'Adad Hannah : The Raft of Medusa, 2009